Objectif Afrique pour le Maroc :Une
diplomatie tous azimuts ?
La réintégration dans
l’Union africaine symbolise la très active diplomatie marocaine en direction du
Continent noir. Économique, cette diplomatie ne néglige pourtant pas
d’importantes dimensions politiques : affaire sahraouie, relations avec les
pays du Golfe, et au-delà développement des relations avec l’UE et Washington.
Le 30 janvier 2017,
après 33 ans d’absence, le Maroc, qui en avait fait la demande en juillet 2016,
réintégrait l’Union africaine (UA). Retour entériné par un consensus général
des membres de l’institution, qui se dispensèrent même de vote tant l’affaire
était entendue. Quelques mois plus tard, au sommet de Monrovia (5 juin 2017),
le royaume obtenait l’accord de principe des membres de la Communauté
économique des États d’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) pour « examiner les
implications » de sa demande d’adhésion à cette instance intergouvernementale
qui compte 15 États de la région. Dans la foulée, la CEDEAO invitait Mohammed
VI à son prochain sommet, en décembre 2017 au Togo. Sauf surprise majeure, le
Maroc devrait y devenir le 16e membre d’un regroupement dont les objectifs vont
de l’intégration et du développement économiques à la création d’une union monétaire,
sans oublier le maintien de la stabilité régionale via une Brigade de
surveillance du cessez-le-feu (Economic Community of West African States
Cease-Fire Monitoring Group – ECOMOG).
Prendre
place dans la croissance africaine
Le retour dans l’UA et
l’adhésion à la CEDEAO consacrent plusieurs années de
diplomatie du royaume
chérifien vers l’Afrique
subsaharienne. Traditionnellement présent en Afrique de l’Ouest –
notamment par un soft power religieux incarné par diverses confréries –, le Maroc
a mené depuis le début de la décennie une offensive destinée à l’ancrer
solidement sur l’ensemble du continent, son souverain étant le plus souvent à
la manœuvre. À son actif, plus de 40 déplacements dans 20 pays… Entre juillet
2016 et le printemps 2017, Mohammed VI a même innové en se rendant pour la
première fois dans la Corne et l’est de l’Afrique (Éthiopie, Tanzanie, Rwanda,
Soudan du Sud, Madagascar et Zambie) ainsi que dans deux pays anglophones
d’Afrique de l’Ouest (Ghana et Nigeria). Les déplacements dans ces 8 pays ont
permis la signature de 113 accords
économiques et financiers, qui
témoignent de l’intensité d’un véritable marathon diplomatique. Accompagné de
délégations conséquentes de
ministres, hommes d’affaires
et personnalités influentes,
le roi délivrait
à chaque fois le même message : « L’Afrique doit faire confiance aux
Africains. » Autrement dit : les entreprises marocaines doivent avoir leurs
chances sur les marchés locaux, comme en Côte d’Ivoire, au Sénégal ou au Gabon.
L’un des axes majeurs de la stratégie diplomatique marocaine est donc de
prendre position sur un continent dont le potentiel de croissance économique
est reconnu internationalement. Après s’être rodées à la pratique des affaires
en Afrique de l’Ouest francophone, les entreprises du royaume lorgnent
l’Afrique de l’Est, zone qui connaît une progression moyenne du PIB supérieure
à 6 %, et attire nombre de convoitises (Chine, Inde, Turquie). Conscients de la
concurrence déjà présente, à quoi s’ajoute celle de l’Afrique du Sud, les
diplomates marocains ont pour mission de promouvoir huit offres de service :
agriculture, banque, énergies renouvelables, immobilier, logistique, mines,
services financiers et tourisme. Pour chaque mémorandum, convention ou accord
d’investissement signé, Rabat met en place un comité de suivi, pour maintenir
une dynamique d’accompagnement de ses entreprises, étatiques ou privées. Entre
Rabat et les grandes métropoles africaines, le ballet diplomatique est
permanent. À ce jour, le Maroc, en pole position en Afrique de l’Ouest, est le
deuxième investisseur africain sur le continent, derrière l’Afrique du Sud. «
Notre objectif est que notre pays occupe le premier rang. Nous voulons
contribuer à l’émergence d’une nouvelle Afrique », déclarait le ministre des
Affaires étrangères marocain Nasser Bourita le 8 juin 2017, pour la Journée de
l’Afrique au Maroc. Sur place, plusieurs diplomates insistaient sur la capacité
de leur pays à assumer un « leadership pragmatique ». Au-delà de projets liés à
la sécurité alimentaire africaine, où le Maroc entend jouer un premier rôle
comme grand producteur de phosphates – la construction d’une usine d’engrais
est prévue en Éthiopie –, cette offensive de diplomatie économique brandit un
projet aussi emblématique que pharaonique : un gazoduc qui relierait le Nigeria
au Maroc et alimenterait six pays d’Afrique de l’Ouest. Coût estimé de ce
chantier structurant : 25 milliards de dollars, chiffre qui ne tient pas compte
d’un éventuel prolongement vers l’Espagne et le Portugal.
Solder
l’affaire sahraouie?
L’économie n’est pas la seule motivation
africaine de Rabat. Le retour au sein de l’UA rompt un long isolement dû à la
question du Sahara. En 1984, le Maroc a quitté l’Organisation de l’unité
africaine (OUA – devenue ensuite Union africaine) pour son impuissance à faire
exclure la République arabe sahraouie démo-cratique (RASD).
En janvier 2017,
bénéficiant du soutien
actif du président guinéen Alpha Condé, le Maroc a pu
isoler ses adversaires, dont l’Algérie et l’Afrique du Sud, qui exigeaient que
Rabat s’engage à ne pas entreprendre de manœuvres hostiles à l’égard de la
RASD. Cette dernière demeure d’ailleurs membre de l’UA, ce qui présage d’autres
batailles diplomatiques : tôt ou tard le Maroc cherchera à faire exclure la
RASD de l’UA.
Sur la question
sahraouie, le Maroc doit toujours composer avec l’hostilité de trois poids
lourds du continent : l’Algérie, l’Afrique du Sud et le Nigeria. Pretoria est
d’autant plus enclin à soutenir Alger, que les dirigeants sud-africains voient
d’un mauvais œil les intérêts économiques marocains s’implanter en Afrique de
l’Est et en Afrique centrale, aires qu’ils considèrent comme leur zone d’influence.
Les banques nigérianes s’agacent aussi de la concurrence marocaine – mais il
sera intéressant de suivre l’évolution des relations de ce pays avec le Maroc
dans la CEDEAO. La concrétisation du gazoduc évoqué ci-dessus serait un signal
d’importance d’autant qu’il concurrencerait un projet de transport de gaz entre
le Nigeria et l’Algérie. D’un coût estimé à 20 milliards de dollars, ce dernier
est inscrit au programme du Nouveau partenariat pour le développement de
l’Afrique (NEPAD). Officiellement, le Nigeria a réitéré en décembre 2016 sa
volonté de faire aboutir son projet avec l’Algérie, mais les deux pays doivent
s’entendre sur les quantités de gaz transportées et les contributions financières
respectives de chaque partie. L’offensive diplomatique marocaine a aussi proté
du vide laissé par son homologue algérienne. Longtemps très active sur le
continent, notamment au prot de la cause sahraouie, cette dernière pâtit
depuis plusieurs années de la situation au sommet de l’État. La maladie du
président Bouteflika et l’absence de perspectives claires limitent le champ
d’action d’Alger qui doit, par ailleurs, veiller à contrer les velléités
marocaines – encouragées par la France – de jouer un rôle de premier plan au
Sahel. Les diplomates algériens ont ainsi fait savoir à leurs homologues du
G5-Sahel (Mauritanie, Mali, Burkina Faso, Niger et Tchad) que l’adhésion du royaume
à cette coopération régionale pour le développement et la sécurité2, serait un
casus belli.
L’axe
Maroc/pays du Golfe
Si l’Afrique mobilise
sa diplomatie, le royaume veille aussi à renforcer sa position avec ses
partenaires du Conseil de coopération du Golfe (CCG), qui sont pour lui
d’importants investisseurs et donateurs. Même si l’invitation de 2012 à adhérer
– qui concernait aussi la Jordanie – est restée lettre morte, Rabat fait figure
d’allié inconditionnel des pétromonarchies. En avril 2016, au premier sommet
CCG/Maroc, Mohammed VI a pu convaincre ses interlocuteurs de la disponibilité
de ses moyens militaires pour assurer la sécurité de leurs pays. Il en a aussi
profité pour solliciter leur soutien dans le bras de fer l’opposant au
Secrétaire général des Nations unies sur le Sahara. Le Maroc est membre de la
coalition qui intervient au Yémen avec notamment cinq chasseurs F-16.Rabat
s’aligne aussi sur les positions de l’Arabie Saoudite concernant le Hezbollah
libanais qualifié d’« organisation terroriste » par la Ligue arabe en mars
2016. En mars 2017, la police marocaine arrêtait à Casablanca l’homme
d’affaires libanais Kassem Tajeddine, en route de Guinée à Beyrouth, accusé
par la
justice américaine de financer le Hezbollah. Traditionnellement proche de
l’Arabie Saoudite, le royaume a néanmoins adopté une position de neutralité
dans la crise qui a opposé, début juin, Riyad et ses alliés au Qatar. La
diplomatie marocaine a cherché à se positionner en tant que médiatrice comme ce
fut le cas en 2014 quand des tensions politiques avaient déjà opposé l’Arabie
Saoudite à son petit voisin. À l’époque, le roi Salman avait accepté de
recevoir l’émir du Qatar dans sa résidence de Tanger après une médiation de
Mohammed VI.
Rabat,
Bruxelles, Washington…
Avec l’Union européenne
(UE), la diplomatie marocaine agit pour maintenir un statu quo qu’elle juge
favorable. À Bruxelles, la bataille d’influence qui l’oppose à son homologue
algérienne ne cesse jamais. À un colloque pro-saharaoui répondra une conférence
sur la souveraineté marocaine dans les provinces du sud. Dans le même temps,
l’activisme des officiels du royaume tend à conforter sa position de premier
bénéficiaire de la politique de voisinage européenne, avec une enveloppe
annuelle de près de 200 millions d’euros. Si Rabat a compris que l’UE ne
s’aliénera jamais l’Algérie en reconnaissant la souveraineté du Maroc sur le
Sahara, il sait pouvoir compter sur plusieurs de ses membres influents dont la
France. L’essentiel est de s’assurer que les efforts d’Alger et de ses alliés
pour remettre la question du référendum d’autodétermination sur la table soient
torpillés dans toutes les enceintes. Par ailleurs, le royaume entend continuer
à jouer le rôle de bon élève du processus d’intégration euro-méditerranéenne en
soutenant vaille que vaille une Union pour la Méditerranée (UpM) bien discrète.
De même, Rabat reste engagé dans le processus de négociation initié avec
Bruxelles en 2013 pour un Accord de libre-échange complet et approfondi (ALECA)
avec l’UE. Au-delà d’un lobbying très actif sur question du Sahara, et de la
volonté de se positionner comme partenaire sur les questions de sécurité au
Sahel, les échanges commerciaux sont part intégrante des efforts diplomatiques
que le Maroc déploie à Washington. L’objectif est de convaincre Donald Trump que
l’accord de libre-échange conclu en 2005 entre le royaume et les États-Unis ne
doit pas être mis dans le même sac que celui de l’Accord de libre-échange
nord-américain (ALENA). On sait que le président américain entend renégocier ce
dernier traité qui lie son pays au Mexique et au Canada, et il pourrait, dans
la foulée, décider une révision complète des autres accords. Pour Rabat, le
message à délivrer est simple : les États-Unis profitent plus de cet accord que
le Maroc (+ 286 % de hausse des exportations américaines vers le Maroc contre +
125 % dans le sens inverse). Autrement dit, il s’agit d’un accord «
gagnant-gagnant » qui fait du Maroc un interlocuteur de poids pour les
États-Unis.
Artcile extrait
de la revue « Ramses 2018 »

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