jeudi 1 novembre 2018


Objectif Afrique  pour le Maroc :Une diplomatie tous azimuts ?
La réintégration dans l’Union africaine symbolise la très active diplomatie marocaine en direction du Continent noir. Économique, cette diplomatie ne néglige pourtant pas d’importantes dimensions politiques : affaire sahraouie, relations avec les pays du Golfe, et au-delà développement des relations avec l’UE et Washington.
Le 30 janvier 2017, après 33 ans d’absence, le Maroc, qui en avait fait la demande en juillet 2016, réintégrait l’Union africaine (UA). Retour entériné par un consensus général des membres de l’institution, qui se dispensèrent même de vote tant l’affaire était entendue. Quelques mois plus tard, au sommet de Monrovia (5 juin 2017), le royaume obtenait l’accord de principe des membres de la Communauté économique des États d’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) pour « examiner les implications » de sa demande d’adhésion à cette instance intergouvernementale qui compte 15 États de la région. Dans la foulée, la CEDEAO invitait Mohammed VI à son prochain sommet, en décembre 2017 au Togo. Sauf surprise majeure, le Maroc devrait y devenir le 16e membre d’un regroupement dont les objectifs vont de l’intégration et du développement économiques à la création d’une union monétaire, sans oublier le maintien de la stabilité régionale via une Brigade de surveillance du cessez-le-feu (Economic Community of West African States Cease-Fire Monitoring Group – ECOMOG).
Prendre place dans la croissance africaine
Le retour dans l’UA et l’adhésion à la CEDEAO consacrent plusieurs années  de  diplomatie  du  royaume  chérifien  vers  l’Afrique  subsaharienne. Traditionnellement présent en Afrique de l’Ouest – notamment par un soft power religieux incarné par diverses confréries –, le Maroc a mené depuis le début de la décennie une offensive destinée à l’ancrer solidement sur l’ensemble du continent, son souverain étant le plus souvent à la manœuvre. À son actif, plus de 40 déplacements dans 20 pays… Entre juillet 2016 et le printemps 2017, Mohammed VI a même innové en se rendant pour la première fois dans la Corne et l’est de l’Afrique (Éthiopie, Tanzanie, Rwanda, Soudan du Sud, Madagascar et Zambie) ainsi que dans deux pays anglophones d’Afrique de l’Ouest (Ghana et Nigeria). Les déplacements dans ces 8 pays ont permis la signature de 113 accords  économiques  et financiers, qui témoignent de l’intensité d’un véritable marathon diplomatique. Accompagné de délégations conséquentes de  ministres,  hommes  d’affaires  et  personnalités  influentes,  le  roi  délivrait  à chaque fois le même message : « L’Afrique doit faire confiance aux Africains. » Autrement dit : les entreprises marocaines doivent avoir leurs chances sur les marchés locaux, comme en Côte d’Ivoire, au Sénégal ou au Gabon. L’un des axes majeurs de la stratégie diplomatique marocaine est donc de prendre position sur un continent dont le potentiel de croissance économique est reconnu internationalement. Après s’être rodées à la pratique des affaires en Afrique de l’Ouest francophone, les entreprises du royaume lorgnent l’Afrique de l’Est, zone qui connaît une progression moyenne du PIB supérieure à 6 %, et attire nombre de convoitises (Chine, Inde, Turquie). Conscients de la concurrence déjà présente, à quoi s’ajoute celle de l’Afrique du Sud, les diplomates marocains ont pour mission de promouvoir huit offres de service : agriculture, banque, énergies renouvelables, immobilier, logistique, mines, services financiers et tourisme. Pour chaque mémorandum, convention ou accord d’investissement signé, Rabat met en place un comité de suivi, pour maintenir une dynamique d’accompagnement de ses entreprises, étatiques ou privées. Entre Rabat et les grandes métropoles africaines, le ballet diplomatique est permanent. À ce jour, le Maroc, en pole position en Afrique de l’Ouest, est le deuxième investisseur africain sur le continent, derrière l’Afrique du Sud. « Notre objectif est que notre pays occupe le premier rang. Nous voulons contribuer à l’émergence d’une nouvelle Afrique », déclarait le ministre des Affaires étrangères marocain Nasser Bourita le 8 juin 2017, pour la Journée de l’Afrique au Maroc. Sur place, plusieurs diplomates insistaient sur la capacité de leur pays à assumer un « leadership pragmatique ». Au-delà de projets liés à la sécurité alimentaire africaine, où le Maroc entend jouer un premier rôle comme grand producteur de phosphates – la construction d’une usine d’engrais est prévue en Éthiopie –, cette offensive de diplomatie économique brandit un projet aussi emblématique que pharaonique : un gazoduc qui relierait le Nigeria au Maroc et alimenterait six pays d’Afrique de l’Ouest. Coût estimé de ce chantier structurant : 25 milliards de dollars, chiffre qui ne tient pas compte d’un éventuel prolongement vers l’Espagne et le Portugal.
Solder l’affaire sahraouie?
 L’économie n’est pas la seule motivation africaine de Rabat. Le retour au sein de l’UA rompt un long isolement dû à la question du Sahara. En 1984, le Maroc a quitté l’Organisation de l’unité africaine (OUA – devenue ensuite Union africaine) pour son impuissance à faire exclure la République arabe sahraouie démo-cratique  (RASD).  En  janvier  2017,  bénéficiant  du  soutien  actif  du  président guinéen Alpha Condé, le Maroc a pu isoler ses adversaires, dont l’Algérie et l’Afrique du Sud, qui exigeaient que Rabat s’engage à ne pas entreprendre de manœuvres hostiles à l’égard de la RASD. Cette dernière demeure d’ailleurs membre de l’UA, ce qui présage d’autres batailles diplomatiques : tôt ou tard le Maroc cherchera à faire exclure la RASD de l’UA.
Sur la question sahraouie, le Maroc doit toujours composer avec l’hostilité de trois poids lourds du continent : l’Algérie, l’Afrique du Sud et le Nigeria. Pretoria est d’autant plus enclin à soutenir Alger, que les dirigeants sud-africains voient d’un mauvais œil les intérêts économiques marocains s’implanter en Afrique de l’Est et en Afrique centrale, aires qu’ils considèrent comme leur zone d’influence. Les banques nigérianes s’agacent aussi de la concurrence marocaine – mais il sera intéressant de suivre l’évolution des relations de ce pays avec le Maroc dans la CEDEAO. La concrétisation du gazoduc évoqué ci-dessus serait un signal d’importance d’autant qu’il concurrencerait un projet de transport de gaz entre le Nigeria et l’Algérie. D’un coût estimé à 20 milliards de dollars, ce dernier est inscrit au programme du Nouveau partenariat pour le développement de l’Afrique (NEPAD). Officiellement, le Nigeria a réitéré en décembre 2016 sa volonté de faire aboutir son projet avec l’Algérie, mais les deux pays doivent s’entendre sur les quantités de gaz transportées et les contributions financières respectives de chaque partie. L’offensive diplomatique marocaine a aussi proté du vide laissé par son homologue algérienne. Longtemps très active sur le continent, notamment au prot de la cause sahraouie, cette dernière pâtit depuis plusieurs années de la situation au sommet de l’État. La maladie du président Bouteflika et l’absence de perspectives claires limitent le champ d’action d’Alger qui doit, par ailleurs, veiller à contrer les velléités marocaines – encouragées par la France – de jouer un rôle de premier plan au Sahel. Les diplomates algériens ont ainsi fait savoir à leurs homologues du G5-Sahel (Mauritanie, Mali, Burkina Faso, Niger et Tchad) que l’adhésion du royaume à cette coopération régionale pour le développement et la sécurité2, serait un casus belli.
L’axe Maroc/pays du Golfe
Si l’Afrique mobilise sa diplomatie, le royaume veille aussi à renforcer sa position avec ses partenaires du Conseil de coopération du Golfe (CCG), qui sont pour lui d’importants investisseurs et donateurs. Même si l’invitation de 2012 à adhérer – qui concernait aussi la Jordanie – est restée lettre morte, Rabat fait figure d’allié inconditionnel des pétromonarchies. En avril 2016, au premier sommet CCG/Maroc, Mohammed VI a pu convaincre ses interlocuteurs de la disponibilité de ses moyens militaires pour assurer la sécurité de leurs pays. Il en a aussi profité pour solliciter leur soutien dans le bras de fer l’opposant au Secrétaire général des Nations unies sur le Sahara. Le Maroc est membre de la coalition qui intervient au Yémen avec notamment cinq chasseurs F-16.Rabat s’aligne aussi sur les positions de l’Arabie Saoudite concernant le Hezbollah libanais qualifié d’« organisation terroriste » par la Ligue arabe en mars 2016. En mars 2017, la police marocaine arrêtait à Casablanca l’homme d’affaires libanais Kassem Tajeddine, en route de Guinée à Beyrouth, accusé par  la  justice  américaine  de  financer  le Hezbollah. Traditionnellement proche de l’Arabie Saoudite, le royaume a néanmoins adopté une position de neutralité dans la crise qui a opposé, début juin, Riyad et ses alliés au Qatar. La diplomatie marocaine a cherché à se positionner en tant que médiatrice comme ce fut le cas en 2014 quand des tensions politiques avaient déjà opposé l’Arabie Saoudite à son petit voisin. À l’époque, le roi Salman avait accepté de recevoir l’émir du Qatar dans sa résidence de Tanger après une médiation de Mohammed VI.
Rabat, Bruxelles, Washington…
Avec l’Union européenne (UE), la diplomatie marocaine agit pour maintenir un statu quo qu’elle juge favorable. À Bruxelles, la bataille d’influence qui l’oppose à son homologue algérienne ne cesse jamais. À un colloque pro-saharaoui répondra une conférence sur la souveraineté marocaine dans les provinces du sud. Dans le même temps, l’activisme des officiels du royaume tend à conforter sa position de premier bénéficiaire de la politique de voisinage européenne, avec une enveloppe annuelle de près de 200 millions d’euros. Si Rabat a compris que l’UE ne s’aliénera jamais l’Algérie en reconnaissant la souveraineté du Maroc sur le Sahara, il sait pouvoir compter sur plusieurs de ses membres influents dont la France. L’essentiel est de s’assurer que les efforts d’Alger et de ses alliés pour remettre la question du référendum d’autodétermination sur la table soient torpillés dans toutes les enceintes. Par ailleurs, le royaume entend continuer à jouer le rôle de bon élève du processus d’intégration euro-méditerranéenne en soutenant vaille que vaille une Union pour la Méditerranée (UpM) bien discrète. De même, Rabat reste engagé dans le processus de négociation initié avec Bruxelles en 2013 pour un Accord de libre-échange complet et approfondi (ALECA) avec l’UE. Au-delà d’un lobbying très actif sur question du Sahara, et de la volonté de se positionner comme partenaire sur les questions de sécurité au Sahel, les échanges commerciaux sont part intégrante des efforts diplomatiques que le Maroc déploie à Washington. L’objectif est de convaincre Donald Trump que l’accord de libre-échange conclu en 2005 entre le royaume et les États-Unis ne doit pas être mis dans le même sac que celui de l’Accord de libre-échange nord-américain (ALENA). On sait que le président américain entend renégocier ce dernier traité qui lie son pays au Mexique et au Canada, et il pourrait, dans la foulée, décider une révision complète des autres accords. Pour Rabat, le message à délivrer est simple : les États-Unis profitent plus de cet accord que le Maroc (+ 286 % de hausse des exportations américaines vers le Maroc contre + 125 % dans le sens inverse). Autrement dit, il s’agit d’un accord « gagnant-gagnant » qui fait du Maroc un interlocuteur de poids pour les États-Unis.
Artcile extrait de la revue « Ramses 2018 »
Ramses 2018

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