Afrique subsaharienne : la mondialisation
par le bas
Une Afrique des contradictions
Les discours afro-optimistes minorent les
différences entre pays et inégalités dans les pays d’Afrique. Il y a bien une
insertion, très ancienne, du continent dans la globalisation, et des poches de
territoires concernées par la dynamique
de la mondialisation actuelle. Mais les instruments de mesure aujourd’hui
utilisés rendent mal compte de la diversité des situations africaines. Depuis
le début des années 2000, même si le progrès des économies et de l’état de
droit est indéniable au sud du Sahara, ces évolutions sont contrastées, à
nuancer et à contextualiser pour éviter d’aboutir à ce que l’on nomme artefact
en sciences humaines et produit de communication en langue profane. Le discours
afro-optimiste est mobilisateur, mais c’est un discours performatif qui
provient des milieux économiques et de la communication. Et il peut produire
des dégâts, a fortiori quand il déborde dans la sphère médiatique et celle des
demi-experts.
Des fragilités
persistantes
Même après une décennie de progrès, il faut en revenir
à quelques points fondamentaux pour pouvoir situer l’Afrique subsaharienne. Les
regards afro-optimistes à la base de l’engouement pour le continent se sont
surtout tournés vers les chiffres d’évolution de la croissance économique qui,
inscrits dans un état du monde global, illustrent de bonnes performances. Mais
les afro-optimistes ont pudiquement ignoré d’autres indicateurs. Sur les 56
pays fragiles du classement de 2016 de
l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) –
classement réalisé sur la base d’indicateurs économiques, environnementaux,
politiques, sécuritaires et sociétaux –, figurent 35 pays d’Afrique
subsaharienne. Autrement dit, quasiment les trois quarts des pays de la zone
(35 sur 48). Quels que soient les autres classements (indice du développement
humain, PIB par habitant), l’Afrique subsaharienne se retrouve en queue de
peloton. Ainsi, si l’on regarde les 31 pays au plus faible PIB par tête dans le
monde, 27 se trouvent au sud du Sahara. Cet état de fait s’est même aggravé ces
30 dernières années, les autres zones où se trouvaient beaucoup de pays à
faible revenu (Amérique latine, Asie du Sud, Caraïbes…) ayant globalement connu
des évolutions plus positives. Ainsi, même si l’on voit apparaître – surtout
dans les villes – des nouvelles classes moyennes, et que le taux de pauvreté diminue (56 %
en 1990, 43 %
1. Le seuil de la pauvreté absolue étant fixé par la Banque mondiale à 1,9 dollar par jour
en 2013), l’essor
démographique est tellement
vigoureux que le
nombre de pauvres augmente. Dans
un rapport publié en 2015-2016, la Banque mondiale afrmait
que le nombre de personnes vivant dans une situation de pauvreté abso-lue en
Afrique subsaharienne était de 347 millions en 2015, alors que ce nombre était
de 284 millions en 1990.En dépit des signes positifs enregistrés dans certains
pays comme l’Éthiopie, l’Afrique présente un taux d’industrialisation inférieur
à celui d’il y a quelques décennies. En effet, le secteur manufacturier
participe au PIB du continent à hau-teur de 11 % en 2013, contre 12 % en 1980.
En 1970, l’Afrique représentait 3 % de la production industrielle du monde
contre 1,5 % aujourd’hui. Pris dans son ensemble, le PIB de l’Afrique
subsaharienne est à peu près équivalent à celui de la France, et deux économies
(Nigeria et Afrique du Sud) pèsent plus de la moitié de ce PIB, alors qu’à
l’autre bout les 30 économies les plus fragiles représentent moins de 10 % du
total. Ces indicateurs doivent évidemment être
considérés avec quelque distance, tant les appareils statistiques
nationaux du continent sont fréquemment
défaillants et les choix de méthodologie de calcul discutables. Ainsi le PIB du Nigeria augmente-t-il de 90 %
entre 2012 et 2013, passant de 264 à 510 milliards de dollars, du fait d’un
simple changement du mode de calcul de cet indicateur…Enfin, depuis la période
des indépendances, l’Afrique abrite en moyenne 35 à 45 % des conflits armés de
la planète, alors même que la population africaine représente de 9 à 15 % de la
population mondiale. Certes, ce type de comptabilité est toujours discutable et
dépend fortement des seuils retenus pour qualifier de conflit un épisode
violent. Les grands conflits de la période de la guerre froide et des années
1990 semblent, il est vrai, révolus – à l’exception des conflits au Sud-Soudan
et autour de Boko Haram, qui ont généré chacun plusieurs dizaines de milliers
de victimes –, mais le nombre de conflits locaux et les parts de territoire échappant
au contrôle direct des États sont en augmentation constante ces dernières
années. De plus, l’architecture régionale de sécurité censée pallier les
faiblesses sécuritaires de certains États n’a que faiblement progressé et reste
toujours fortement dépendante de soutiens extra-africains, de manière directe
(opérations de l’Organisation des Nations unies – ONU – lutte contre la
piraterie, interventions de la France au Sahel…), et surtout via les financements.
Ainsi le G5-Sahel, structure créée en 2014 par la Mauritanie, le Mali, le
Burkina Faso, le Niger et le Tchad pour coopérer dans la lutte contre les
risques transnationaux (terrorisme, groupes armés, problèmes frontaliers, trafics…)
est-il très majoritairement financé par le Fonds européen de développement
(FED).Même l’Union africaine (UA),
organisation phare du continent, prompte à dénoncer le néocolonialisme des
puissances étrangères extra-africaines, tolère pourtant, presque 55 ans après
la création de l’OUA, que son budget soit,
horresco referens, assuré à plus de 50 % par des partenaires
occidentaux.
L’Afrique subsaharienne et
la globalisation
L’Afrique subsaharienne a, depuis le début des
années 2000, connu un accroissement des investissements direct étrangers (IDE),
de ses échanges avec le reste du monde, ainsi qu’une multiplication de ses
partenaires économiques et commerciaux. On ne peut cependant pas parler d’une
mondialisation de l’Afrique, celle-ci
étant effective depuis fort longtemps, mais sous des modalités particulières :
économie de comptoirs, ou transsaharienne, qui a connecté les économies
subsahariennes à l’Europe, à l’Afrique du Nord, à l’Inde, à l’Asie et au
Proche-Orient ; colonisation, avec ses modes d’échange particuliers avec les
métropoles ; économies africaines post-indépendances, pourvoyeuses de matières
premières et donc très connectées aux marchés mondiaux de ces produits –
beaucoup plus qu’aux économies voisines. La phase de croissance et de
transformation économique à l’œuvre depuis le début des années 2000
témoigne-t-elle d’une nouvelle insertion de l’Afrique subsaharienne dans la
globalisation ? Si l’on observe la structure des échanges nationaux, force est
de constater que cette phase d’expansion économique ne correspond pas à une
transformation radicale du mode d’insertion de l’Afrique subsaharienne dans la
globalisation. Cette région du monde reste en effet pourvoyeuse de matières
premières (pétrole, gaz, produits miniers et agricoles, grumes…) pas ou
faiblement transformés, et demeure importatrice
nette d’une grande partie de ses besoins en produits transformés. On ne peut
certes pas décrire une économie à la seule lumière des échanges, et cette
lecture ne rendrait pas justice à des transformations internes importantes,
ainsi qu’à une grande variété de trajectoires nationales, mais la structure des
échanges montre que l’Afrique subsaharienne reste largement dans une économie
d’extraversion. Voici une quinzaine d’années, la Banque mondiale conseillait
aux pays africains d’abaisser leur système d’imposition et de taxation sur
l’activité minière. La finalité était que ces économies puissent attirer
davantage d’investisseurs, et ainsi envisager une transformation sur place,
génératrice d’emplois et de plus-values dans les territoires. Or la Banque
mondiale n’est plus sur cette ligne, constatant, en dépit d’un boom subséquent
de ces investissements, une quasi- absence de transformation dans les territoires.
En effet les acteurs du secteur, visant les marchés mondiaux et constatant la
médiocrité des infrastructures – notamment un déficit très pénalisant de
fourniture d’électricité –, choisissent d’évacuer les minerais et de les
transformer ailleurs. Les experts de la Banque mondiale conseillent désormais à
certains pays de relever le niveau de taxation du secteur, seule façon de
générer des revenus.
Une faible cohésion territoriale des économies nationales
Derrière le terme d’économies nationales, les
territoires peuvent ainsi juxtaposer des poches d’économies dynamiques,
étroitement connectées à la globalisation mais beaucoup moins aux autres
espaces locaux, et donc avec une faible capacité à entraîner le reste de
l’économie. Les politiques d’équipement en infrastructures conduisent ainsi à
la promotion et au renforcement des régions urbaines les mieux dotées, et des «
corridors ». Ces politiques ne font souvent que renforcer cette configuration
de l’économie d’extraversion. Même s’il est vrai, par ailleurs, que nombre de
pays ont fait des efforts significatifs, depuis le début du millénaire, pour
densifier leurs réseaux de communication internes et leurs liaisons
internationales (l’Afrique australe en est le meilleur exemple) Cette faible
cohésion territoriale des économies nationales revêt bien d’autres aspects.
Parfois, ce sont des régions entières qui, pratiquement, ne font pas partie de
l’économie nationale. La zone du lac Tchad et de Diffa, au Niger, est au regard
des circuits marchands connectée aux États du Nord et du Nigeria, bien plus
qu’à l’ouest du Niger ; d’ailleurs on y utilise davantage la naira (monnaie
nigériane) sur les marchés que le franc CFA. Au Mali, la zone de Kidal et de
Gao n’est pas intégrée à l’économie nationale malienne mais l’est beaucoup plus
à des espaces marchands et économiques qui vont de l’Algérie au Niger et au
Nigeria. Les statistiques sous-évaluent, quand elles ne les méconnaissent pas
entièrement, des pans entiers des économies du continent, paresseusement qualifiés
d’informels. On regroupe en effet sous ce terme à la fois les activités de
vendeurs de rues qui jouent leur survie au quotidien, des ateliers et des
petites et moyennes entreprises qui ont fait le choix de la non-formalisation,
des pans entiers d’activités rurales mais aussi du commerce au long cours
pratiqué par des communautés de
commerçants (réseau haoussa en Afrique de l’Ouest par exemple).L’étude
de la circulation de certains produits aiderait pourtant à mieux comprendre les
économies africaines et leur place dans la mondialisation : pays entrepôts et
de transfert en termes de trafics (cocaïne, cigarettes…), économies dépotoirs
où le monde se débarrasse de produits invendables ailleurs (voitures en bout de
course, friperie de deuxième main, vieux concentrés de tomates chinois
introduits sur le continent par des réseaux maeux,
cigarettes aux forts taux d’additifs, gasoil toxique…), réseaux marchands
(africains et asiatiques) de produits chinois bas de gamme ayant contribué à
saborder ce qui restait d’industrie en Afrique. Les diasporas africaines, de
plus en plus nombreuses et installées dans un nombre beaucoup plus étendu de
pays – pensons notamment aux communautés africaines de Canton, ou encore aux
réseaux marchands mourides –, constituent des atouts importants du continent
dans la mondialisation et participent d’une vitalité économique qui échappe aux
comptabilités nationales. Bien sûr, les évolutions mesurées par les appareils
statistiques nationaux sont bien réelles, et l’Afrique est aussi, du fait de
l’enrichissement d’une partie de sa population, et de l’expansion de ses
classes moyennes, un marché de consommation de plus en plus courtisé. Mais on
ne peut pas comprendre l’évolution de l’Afrique subsaharienne sans prendre en
compte cette mondialisation par le bas.
Extrait de la revue « Ramses 2018 »
Remarque : L’article est disponible sur la plateforme
Youtube :
« https://www.youtube.com/watch?v=EBWtj1ZGAIU&t »
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