TR n°2: L'am latine dans un monde multipolaire
L'Am du Sud face au narcotrafic
-« L’Amérique latine est un continent pauvre. »
« L’Amérique latine est un continent pauvre. »J’ai grandi
dans un quartier privé de Buenos Aires…Privé d’eau, d’électricité et de
téléphone…Diego Armando Maradona, lors d’une visite en Bolivie en mars 2004
Dans le monde, aucun pays ne peut
se prévaloir de ne pas
connaître la pauvreté,
tout simplement parce que
la pauvreté est
avant tout une
question de perception. La
pauvreté ne peut
se mesurer de façon absolue efficacement, car elle a une
très forte composante psychologique, qui dépend de beaucoup de facteurs autres
que la simple possession de biens matériels.
Toutefois, l’Amérique latine
n’échappe pas aux chiffres
accusateurs. En 2015,
29,2 % des Latino-Américains vivaient
encore en situation
de pauvreté (environ 175
millions de personnes),
et 12,4 % en situation d’extrême pauvreté (75 millions). Il peut
alors apparaître difficile
de contester l’idée que
l’Amérique latine est
un continent pauvre,
et d’ailleurs, cela n’aurait pas de sens. Les pays d’Amérique latine ont
quasiment tous comme priorité de réduire
la pauvreté. Pourtant,
derrière les chiffres bruts, se cache une grande diversité
de situations. La situation d’extrême
pauvreté implique des conditions de vie misérables : manque
d’eau potable, faim, aucun accès
à l’électricité… À
titre de comparaison,
en Europe, continent
considéré comme « riche », plus
de 24 % de la population est en situation
de pauvreté en
2014. Sur le
plan matériel, la pauvreté
européenne est sans
comparaison avec la « L’Amérique latine est un continent
pauvre. »J’ai grandi dans un quartier privé de Buenos Aires…Privé d’eau,
d’électricité et de téléphone…Diego Armando Maradona, lors d’une visite en
Bolivie en mars 2004Dans le monde, aucun
pays ne peut se prévaloir de ne pas
connaître la pauvreté,
tout simplement parce que
la pauvreté est
avant tout une
question de perception. La
pauvreté ne peut
se mesurer de façon absolue efficacement, car elle a une
très forte composante psychologique, qui dépend de beaucoup de facteurs autres
que la simple possession de biens matériels.
Toutefois, l’Amérique latine
n’échappe pas aux chiffres
accusateurs. En 2015,
29,2 % des Latino-Américains vivaient
encore en situation
de pauvreté (environ 175
millions de personnes),
et 12,4 % en situation d’extrême pauvreté (75 millions). Il peut
alors apparaître difficile
de contester l’idée que
l’Amérique latine est
un continent pauvre,
et d’ailleurs, cela n’aurait pas de sens. Les pays d’Amérique latine ont
quasiment tous comme priorité de réduire
la pauvreté. Pourtant,
derrière les chiffres bruts, se cache une grande diversité
de situations. La situation d’extrême
pauvreté implique des conditions de vie misérables : manque
d’eau potable, faim, aucun accès
à l’électricité… À
titre de comparaison,
en Europe, continent
considéré comme « riche », plus
de 24 % de la population est en situation
de pauvreté en
2014. Sur le
plan matériel, la pauvreté
européenne est sans
comparaison avec la importante
frustration des populations
pauvres. À son tour,
cette frustration aggrave
le sentiment de pauvreté issu des manques matériels, et qui
fait de l’Amérique latine un continent perçu comme pauvre. Mais il
convient aussi de nuancer l’idée de continent pauvre, en raison des importants
progrès réalisés ces dernières années. Ainsi, la pauvreté est, depuis le début
des années 1990, en constant recul, et ce dans tous les pays du continent, sauf
quelques exceptions comme l’Argentine ou le Paraguay, qui ont fait face à de
graves crises économiques dont ils ne
se sont pas encore
totalement remis. À
titre d’exemple, le Chili est passé de 38,6 % de la population
vivant en dessous du seuil de pauvreté en 1990, à 14 % en 2013. Les indicateurs
globaux pour toute l’Amérique latine le montrent également, avec entre 1990 et
2013, une baisse de près
de 20 points
de la proportion
de la population vivant
en dessous du
seuil de pauvreté (48,4 % à 28,1 %). La crise
économique mondiale des années 2008-2009 ralentit les progrès voire même a
légèrement inversé la tendance. En 2015, la pauvreté est ainsi remontée à 29,2
% en Amérique latine. Dans de
nombreux pays, le recul
de la pauvreté est un signe de
changement de la société. Les importants
investissements dans l’éducation,
la santé et dans d’autres secteurs à très fort impact
sur le développement humain ont produit des effets visibles ces deux dernières
décennies. En 1990, par exemple, le Nicaragua consacrait 9,7 % des dépenses
publiques à l’éducation. Dans
les années 2000,
ce chiffre est passé à 15 %. Depuis 2009, toutefois, le ralentissement de la croissance économique
n’a pas permis de poursuivre ces progrès. La France consacre plus de 30 % de
son budget à l’Éducation nationale, la recherche et l’enseignement supérieur,
soit encore le double. Il apparaît toutefois évident que
l’Amérique latine rejoint
lentement le groupe des pays qui
investissent le plus dans l’éducation, or celle-ci est la clé du développement.
À cela
s’associent deux facteurs
économiques très importants : l’Amérique latine est riche en ressources
diverses. Inutile de rappeler l’importance des réserves de pétrole
vénézuéliennes ou brésiliennes (le Brésil à découvert, en 2008, un gigantesque
gisement au large de
ses côtes, qui
promet d’assurer l’indépendance énergétique du pays, déjà
presque atteinte, pour encore de
nombreuses années). L’Amérique latine investit
également massivement dans
la recherche agronomique, et le continent est en train de basculer
d’un mode de
production extensif à un mode
de production intensif
(processus qui est engagé depuis
longtemps, mais s’accélère). Au Brésil et en Argentine, la recherche en
agronomie est parmi les plus avancées
au monde. Plus
généralement, l’Amérique
latine développe une
économie de services, caractéristique des pays
riches et développés. La
prospérité du secteur tertiaire est un des aspects les plus encourageants pour
l’Amérique latine. En somme, il
n’y a rien
d’étonnant à ce que
l’Amérique latine soit perçue comme pauvre, car la population y est confrontée
à un très fort dénuement matériel et des inégalités génératrices de
frustration. Toutefois, si l’idée de la pauvreté du continent doit être relativisée,
sa richesse potentielle
et, au-delà, sa prospérité
attendue lui donnent l’espérance d’un avenir meilleur, s’il continue à faire
des efforts dans la bonne direction.
Extrait de « L’Amérique
latine » Olivier Dabène .2e édition
2017
-« L’Amérique latine est un continent violent. »
« L’insécurité en Amérique
latine est plus meurtrière que le sida
ou que n’importe quelle autre épidémie connue ». José Miguel
Insulza, secrétaire de l’Organisation des États améri-cains, réunion des
ministres de la Sécurité publique, Mexico, 2008
L’Amérique latine
a la réputation
d’être l’une des régions
les plus violentes
au monde, ce
que confirment de
nombreuses études. D’après
l’Organisation panaméricaine de la santé, un indice de criminalité «
normal » serait de 0 à 5 homicides chaque année pour 100 000 habitants. En
Amérique latine, cet indice dépasse
souvent 10. Le
Salvador est un cas extrême, avec un indice de 103 en
2015, suivi du Venezuela. Le tableau ci-après montre toutefois une forte hétéro
généité entre les pays. Le cône Sud apparaît plus pacifié que la région andine.
Il convient aussi de remarquer que le niveau de violence varie à l’intérieur
même des pays, voire des villes. Cependant, depuis le début des années 1990, la
tendance générale est à l’augmentation de la violence dans toute la région. La violence
est un phénomène
multiforme. Dans un ouvrage
devenu un classique
(Crime and Violence in Latin
America, 2003), Morrison, Buvinic et
Shifter distinguent la violence domestique
et la violence sociale. Dans le
premier cas, il s’agit d’une violence
entre des personnes
liées par le
sang ou par le mariage. Elle a rue,
ce qui la
rend plus visible.
Ces deux types
de violence sont liés : des comportements violents qui ont lieu à
l’intérieur du cercle familial favoriseraient le développement
d’une violence domestique
et/ou sociale chez les enfants, qu’ils en soient victimes ou témoins.
Il existe un
autre type particulier :
la violence politique qui s’illustre par exemple avec les guerres
civiles. Comme le souligne la Banque mondiale (« Crime and Violence as
Development Issues in Latin America and the Caribbean », contribution de la
Banque mondiale à
la Conférence sur
la criminalité et la violence
urbaine, Rio de Janeiro, 2-4 mars 1997), « les différentes dimensions du crime
et de la violence […] sont liées et se renforcent mutuellement de façon
complexe. Lorsqu’une guerre civile prend fin, les guérilleros peuvent se
reconvertir dans la criminalité. Élevés
dans un climat
de violence domestique, des
jeunes peuvent devenir
des délinquants de rue, etc.
».Nous nous intéresserons
surtout à la
violence sociale. Elle se manifeste à travers les mises à mort
illégales, les affrontements avec les forces de l’ordre, les vols à main
armée, les guerres entre gangs, etc. Les maras et pandillas, bandes de
jeunes d’Amérique centrale, commettent de
nombreux vols ou
agressions et sont
de plus en
plus actives dans
le trafic de drogue. La violence
sociale peut être urbaine ou rurale, perpétuée par des jeunes ou par la police
elle-même. Les motifs sont très divers (trafic de drogue, intimidation), bien
que la violence puisse aussi être une fin en soi, qui ne
présente alors pas de motifs
particuliers. Les causes de ce phénomène sont nombreuses et complexes. Les
facteurs sociaux viennent au premier
rang. Les inégalités de revenus et le manque d’intégration entraîneraient une
frustration génératrice de souvent lieu
à l’intérieur des foyers. Dans le second cas, c’est une violence entre individus sans
lien particulier. Elle a lieu
dans la comportements violents,
voire de véritables affrontements de classes. Le narcotrafic a aussi pour effet
d’élever le niveau
de violence des
sociétés. Mais les causes
peuvent être aussi
familiales. Une étude (Larrain et al., 1997) a montré qu’au
Chili, les pères avec quatre enfants ou plus étaient en moyenne trois fois plus
violents envers ceux-ci que les pères n’ayant qu’un seul enfant. Les enfants
victimes de maltraitance auraient, comme
mentionné précédemment, tendance
à reproduire cette violence une fois adulte. Enfin, la potentialité violente
dépend de l’individu. Des études ont ainsi montré que la propension à la
violence serait plus
forte lorsque l’individu
est de sexe masculin,
jeune, peu instruit,
avec de faibles revenus ou encore lorsque celui-ci
est sous l’emprise de drogues ou d’alcool. Les
coûts engendrés par
la violence sont
très élevés. Elle
accroît le sentiment
d’insécurité et influe négativement
sur le développement
économique et sur la gouvernabilité des pays. Le coût en vies humaines
est énorme. Le
rapport du Conseil
national de sécurité
publique du Salvador
montre ainsi qu’en 2006, 500 000 années de vie ont été perdues à
cause de la
violence en Amérique
centrale. Dix ans plus tard,
plus de 6 000 assassinats par an ont
lieu au Salvador.
Les effets économiques
sont évidents. Si la violence résulte de l’accroissement de la misère et
des inégalités, elle appauvrit également la société en empêchant son
développement économique, d’où un véritable cercle vicieux. Le climat de
violence éloigne les entreprises et les investissements de la région. Selon
l’étude de Londoño et Guerrero, les coûts de
la délinquance en Amérique latine, en tenant compte des biens volés,
seraient équivalents à 14,2 % du PIB de la région, avec toutefois de fortes
disparités entre les pays et leur degré de violence. Les comportements sont
aussi changés par la
violence. Le sentiment d’insécurité
oblige à prendre
le taxi plutôt que les transports en
commun, à éviter certains
quartiers, etc. La qualité de vie en est profondément affectée. Les victimes
d’agressions souffrent et le prix de la douleur demeure impossible à évaluer.
Par ailleurs, face à l’incapacité des gouvernements à résoudre ce problème,
s’est développée une sécurité privée
que seuls les
plus riches ou
les entreprises peuvent s’offrir.
Enfin, les dépenses
liées aux services
destinés à réduire et à punir la
violence (police, prisons) sont conséquentes
et privent les
sociétés de ressources importantes. De même, les
politiques de prévention, de réduction de
la violence et d’assistance aux victimes
ont un coût.
Elles se traduisent
souvent par une perte
d’authenticité démocratique. D’une part, les forces de l’ordre et/ou
paramilitaires, en combattant la violence
par la violence, portent non seulement préjudice à la démocratie mais
accroissent aussi le phénomène lui-même et le sentiment d’insécurité. D’autre
part, ces politiques de lutte se caractérisent par des
restrictions des libertés
fondamentales, des violations des droits de l’Homme ou encore par une
militarisation de la société. Les appareils répressifs se durcissent. Ainsi,
dans la guerre contre les maras, le gouvernement salvadorien a adopté une
politique de mano dura (littéralement « main dure ») dans le but
d’emprisonner tout marero
présumé du simple
fait de ses tatouages ou de son comportement. Une peine de deux à cinq
ans de prison pouvait être appliquée à
tout marero âgé
d’au moins douze
ans. Déclarée
inconstitutionnelle, cette loi
a été remplacée
par celle de la
mano super dura,
qui prévoyait jusqu’à cinq ans de prison pour les mareros
de plus de dix-huit ans. Cette perte d’authenticité des démocratie conjuguée à
l’incapacité des institutions
démocratiques à résoudre le
problème de la violence risque de
les discréditer. La violence constitue un véritable défi pour les démocraties
latino-américaines.
Extrait de « L’Amérique
latine » Olivier Dabène .2e édition
2017
-« L’Amérique latine est la terre du populisme. »
Je ne suis plus
moi-même. Je suis le peuple.Hugo Chávez, El País, décembre 2008
Contrairement à
ce que l’on
pourrait croire, l’Amérique latine
n’est pas le
berceau du populisme. Celui-ci est tout d’abord apparu
en Russie et en Amérique du
Nord. Il a
contaminé le continent latino-américain dans
les années 1930
et s’y est
installé, semble-t-il, durablement. Dans son ouvrage Les
Populismes, l’historien Jean-Pierre
Rioux définit le populisme comme un courant politique
dirigé par un leader charismatique et
indissociable d’une critique constante des
élites ainsi qu’une
référence systématique au peuple.
Le populisme s’est installé en Amérique latine en même temps que la question
sociale, dans les années 1930/1940, dans le but d’intégrer les couches populaires,
en particulier la
classe ouvrière apparue suite
à l’industrialisation. Plusieurs
pays, l’Argentine, le Mexique ou encore le Brésil, ont préféré ce
courant politique à la répression afin de donner l’impression d’une évolution et
empêchant ainsi toute révolution.
Une contradiction est
alors apparue : il s’agissait, par l’intermédiaire du
populisme, d’intégrer les couches
populaires pour mieux conserver l’ordre oligarchique ancien. En
Argentine tout d’abord, Perón entre au gouvernement suite au coup d’État du
groupe des Officiers unis en 1943. Conscient de
l’importance du soutien des
masses, il promet dès lors des
réformes sociales. Sa
popularité augmente jusqu’à
son renvoi. Le 17
octobre 1943, jour
fondateur du mythe
péroniste, la foule réclame son retour lors d’une manifestation
massive à Buenos
Aires. Il s’est
déjà constitué une clientèle qui lui restera fidèle, même
pendant ses dix-huit années d’exil (1955-1973). Élu président en 1946, il
s’appuie énormément sur son charisme afin de créer un lien affectif fort entre
lui, le leader, et son peuple. Sa femme, connue sous le nom d’Evita, attire
également de nombreux soutiens grâce à ses puissants discours. Un véritable culte
de la personnalité se développe autour de son personnage. L’idéologie de Perón
reste vague, bien que celui-ci
insiste sur sa doctrine «
justicialiste ». Il aurait tenté d’œuvrer pour plus de justice sociale, condition
de l’unité nationale, au travers de diverses
politiques de redistribution.
Malgré son contrôle hasardeux
du budget national,
il offre les premiers congés
payés et les salaires s’améliorent. Cependant, les limites des droits des
travailleurs sont nombreuses : la grève est interdite et la Confédération
générale du travail (CGT) lui est
soumise dès 1950, jouant un rôle
considérable dans sa réélection en 1951.En
ce qui concerne
le Mexique, les
racines du populisme se
trouvent au sein
du Parti révolutionnaire institutionnel (PRI),
formellement créé en 1946
(il a toutefois existé
depuis 1929 sous
d’autres appellations). En dépit de son apparente institutionnalisation, le
parti n’a ni
programme ni idéologie consolidés. Ceux-ci
dépendent surtout du
président au pouvoir, qui exerce une forte domination personnelle. Le
PRI gouverne le pays pendant 72 ans (1928-2000) au travers d’alliances avec la
classe dominante et les syndicats
officiels. Durant cette
période, tous les présidents
de la République
sont issus du PRI
et possèdent la
majorité à la Chambre des
députés. Les politiques économiques développées au Mexique 111sous
l’égide du PRI vont du protectionnisme au néo-libéralisme. Le
tournant libéral s’est
produit suite à la découverte de
ressources pétrolières. Le
président López Portillo prit alors
des décisions économiques pouvant être considérées comme
irresponsables : prêts à l’extérieur, absence de contrôle de l’inflation, etc.,
sacrifiant ainsi tous
les secteurs de l’économie. En 1981, la demande de pétrole baisse et le
pays se trouve empêtré dans une crise financière qui l’oblige à mettre en place
une politique de privatisation.Une autre
expérience populiste majeure en Amérique latine
est celle de
Getúlio Vargas. Celui-ci
gouverne le Brésil de 1930 à 1945 et de 1951 à 1954. En 1937, il commet
un coup d’État qui installe l’Estado Novo (« État nouveau ») et il se convertit
en dictateur jusqu’en 1945. Sa stratégie consiste à nouer des relations
étroites entre l’État et les syndicats, en nommant les leaders
syndicaux et en
promulguant des lois
en faveur des travailleurs. Vargas est un personnage très charismatique
qui fait souvent appel au peuple pour consolider sa légitimité. Contrairement à
Perón et à certains présidents mexicains, il ne s’appuie pas sur le modèle «
populiste économique » avec des politiques fiscales irresponsables qui
conduisent généralement à la crise économique. Vargas sait préserver les
finances publiques et demeure le principal acteur de la révolution industrielle
brésilienne. Avec lui, le populisme est aussi un moyen pour développer
l’économie. Par la suite, les années 1980 sont marquées en Amérique latine non
seulement par la crise de la dette mais aussi par le début des transitions
démocratiques. Cependant, ni la démocratie ni les politiques néo libérales du
consensus de Washington
ne conduisent à
la disparition du
populisme comme on
aurait pu le
penser. Bientôt, le terme de
« néopopulisme » apparaît pour désigner le nouveau modèle
qu’incarnent les présidents néolibéraux Fujimori au Pérou et Menem en
Argentine. Celui-ci se distingue
du « populisme
classique » en privilégiant des politiques néolibérales,
par opposition à l’interventionnisme étatique d’auparavant. Fujimori et Menem
surmontent l’instabilité politique qui touche leur pays et accomplissent deux
mandats présidentiels, fait unique sur
le continent. Leur succès peut
laisser penser que le populisme latino-américain est une force adaptable
à la mondialisation, en dépit de sa faiblesse institutionnelle accentuée par un
manque de légitimité. En outre, bien que Fujimori ait su s’assurer le soutien
de la
classe populaire, les
réformes néolibérales qu’il met
en place ainsi
que sa stratégie
politique à court terme provoquent des bouleversements
profonds. Cette opposition se renforce, en particulier là où les réformes ont
été les plus profondes et là où les institutions, ainsi que les élites
politiques, ont été les plus faibles. Enfin, un populisme plus traditionnel a de
nouveau surgi avec Evo
Morales en 2006
en Bolivie et Hugo Chávez
en 1998 au
Venezuela. Leurs discours
anti- néolibéraux marquent leur
opposition catégorique au consensus
de Washington et au Fonds monétaire international. Comme pour le populisme des
années 1930 et 1940,
une grande partie
des classes exclues considère ce mouvement comme étant le
leur. Cette identification a été un élément absent, et finalement
déstabilisateur, des régimes néo-populistes des années 1990. L’inclusion des
classes marginalisées garantit la continuité de ces expériences. Les chavistes
au Vene-zuela parviennent à conserver le pouvoir même après la mort du leader
Hugo Chavez en 2013.Ainsi, nous ne pouvons nier la présence du popu-lisme en
Amérique latine. Celui-ci
a toutefois pris des formes diverses et n’a cessé
d’évoluer au cours du temps. Le populisme, sorte de corruption idéologique de
la démocratie, révèle donc les dysfonctionnements de cette dernière sur le continent.
Extrait de « L’Amérique
latine » Olivier Dabène .2e édition
2017
Nous considérons que
toute tentative de l’Europe en vue d’étendre son système à quelque fraction que
ce soit de cet hémisphère serait dangereuse pour notre paix et notre sécurité.
Discours du président
James Monroe en 1823
La doctrine de ce président
républicain des États-Unis d’Amérique, rendue en partie par l’expression « l’Amérique
aux Américains »,
prévoit la surveillance et la défense du continent
sud-américain face aux prétentions territoriales
des Européens. Cette déclaration de
solidarité anti-européenne pose
les fondements du panaméricanisme en
déclarant que l’Amérique latine
constitue « l’espace
réservé » des États-Unis. Soixante
ans plus tard,
leur décollage économique et
l’achèvement de la
conquête de l’Ouest les forcent à
trouver de nouveaux débouchés géographiquement proches. Une ère de domination
économique, militaire et politique s’ouvre alors pour l’Amérique latine.
L’intervention américaine à Cuba en 1898 le démontre parfaitement. En effet,
l’invasion de l’île, alors en proie à sa seconde guerre d’indépendance
contre l’Empire espagnol, s’inscrit dans une
logique commerciale. Le « colosse
du Nord », plus
que libérer Cuba
du joug espagnol,
souhaite asseoir son pouvoir
économique sur un
État qui représente à cette
époque plus de 7 % de ses échanges commerciaux. L’action militaire américaine
aboutit à la signature du traité de Paris du 10 décembre 1898 qui reconnaît l’indépendance
de Cuba. Cependant, l’amendement Platt (1903), du nom du sénateur du
Connecticut l’ayant fait
adopter par le
gouvernement américain, place l’île sous la tutelle des États-Unis. Cette
liberté conditionnelle autorise
l’intervention des marines en cas de désordre politique. En 1913, le
président Wilson déclare que les États-Unis ne reconnaissent pas un pouvoir non
issu d’élections démocratiques. Sa doctrine
justifie les nombreuses interventions effectuées
en Amérique latine
par les États-Unis durant sa
présidence : en 1914 au Mexique, en Haïti en 1915, à Saint-Domingue en 1916. De
1898 à 1933, les États-Unis interviennent militairement à vingt-cinq reprises
en Amérique centrale et dans les Caraïbes. Plus tard, la guerre froide sert de
prétexte au messianisme musclé
nord-américain. En effet, l’Amérique latine devient objet de
convoitises et terrain de lutte entre les deux grands que sont l’URSS et les
États-Unis. La doctrine de l’endiguement mise en place
par le président
nord-américain Truman
consiste à contenir
l’expansion communiste. Cette idéologie légitime le coup d’État
organisé par la CIA au Guatemala en 1954 qui renversa le gouvernement
d’Arbenz, supposé marxiste,
ou encore le
soutien militaire accordé aux Contras du Nicaragua, guérilla opposée au
gouvernement sandiniste dans les années 1980. De plus, en avril 1961, les
États-Unis envoient des mercenaires cubains entraînés par la CIA dans la baie
des cochons pour renverser le nouveau gouvernement communiste de Fidel Castro.
L’interventionnisme nord-américain ne s’arrête pas là : l’« Alliance pour le
progrès » mise en place en 1961 par le président Kennedy, n’est dans le fond
qu’une stratégie déployée pour protéger l’hémisphère de l’expansion communiste. Celle-ci
propose une aide
sociale aux pays sud-américains à
la condition que ces derniers possèdent des cadres institutionnels
démocratiques. L’hégémonie
nord-américaine durant cette
période se traduit par la ratification de deux alliances avec les États
d’Amérique latine : le pacte militaire du TIAR (Traité interaméricain d’assistance
réciproque) de 1947, relatif à la
défense mutuelle et celui de l’OEA (Organisation des États américains, 1948).
Cette dernière est considérée
par Castro comme le
« ministère des Colonies » de
l’hyperpuissance américaine. Dans la seconde moitié du xxe siècle, les États-Unis
soutiennent de nombreux régimes autoritaires. Dans les années 1970, ils vont
même jusqu’à dispenser des cours de torture
aux juntes militaires
gouvernant au Chili, en
Argentine, au Paraguay,
en Bolivie et en Uruguay
dans le cadre
de l’opération Condor. Au plan économique, le néo-impérialisme pratiqué par les
États-Unis pour s’imposer
sur un «
empire perdu » se reflète dans le consensus de Washington apparu en 1989.
Ce dernier consiste en un amalgame de mesures recommandées aux économies
d’Amérique latine pour rembourser leur
dette extérieure résultant
de la crise
d’hyperinflation de la
« décennie perdue » des années
1980. Dans le cadre de la mondialisation,
le « Géant
» impose son
hégémonie et maintient les
pays d’Amérique latine
dépendants de son économie
en multipliant les
traités bilatéraux comme celui
signé avec le Chili en juin 2003, avec la République dominicaine et l’Amérique
centrale en 2005, ou encore en novembre 2006 avec la Colombie. Ces traités
compensent l’échec du projet de
Zone de libre-échange
des Amériques (ZLEA), que
les trente-quatre pays
du continent (tous
sauf Cuba) devaient inaugurer
en 2005. Sous
l’égide du Venezuela, une
Alternative bolivarienne pour les
Amériques (ALBA) s’organise
pour s’opposer à l’impérialisme des États-Unis. Cependant,
la domination américaine était
déjà critiquée auparavant, comme le
souligne l’existence de
l’Alliance populaire
révolutionnaire américaine datant de 1923. Son fondateur, Víctor
Raúl Haya de
la Torre, prônait l’union politique de l’Amérique
latine et appelait à la contestation de la suprématie nord-américaine. En
parallèle, avec notamment Rafael Correa (Équateur, 2006), Daniel Ortega
(Nicaragua, 2007) ou encore Hugo Chávez (Venezuela,
1999) et Lula
(Brésil, 2002), l’arrivée au pouvoir de présidents de gauche en Amérique
latine dans les années 2000 a contribué
à l’affaiblissement de
la puissance nord-américaine dans le
continent. Hugo Chávez
s’est notamment singularisé par
ses diatribes contre
la puissance nord-américaine. Le
20 septembre 2006,
lors d’un discours à
l’assemblée générale de
l’Organisation des Nations unies,
il qualifie le
président Bush de « menteur » et de « tyran ». En septembre
2008, il exige le renvoi
de l’ambassadeur des
États-Unis à Caracas car il soupçonne
ce pays de
manigancer un complot contre lui et déclare : « Allez vous faire voir,
yankees de merde ! » En vue de former une force de cohésion
latino-américaine et une
démarcation face à l’Amérique du
Nord, les États
d’Amérique latine créent des
institutions comme la
banque de développement Banco
del Sur. Cet
organisme, qui s’inscrit dans
la même politique
anti-impérialiste, regroupe
le Venezuela, l’Argentine,
le Brésil, la Bolivie, l’Équateur, le
Paraguay et l’Uruguay.
Il se pose comme une
alternative au Fonds
monétaire international et à la Banque mondiale, et représente un grand
pas vers l’indépendance économique
de l’Amérique latine. En parallèle, depuis les attentats terroristes du
11 septembre 2001, Washington a tendance à se tourner vers le Proche-Orient, et
semble laisser de côté
la zone latino-américaine. L’arrivée à
la Maison Blanche
du président Barack
Obama porte l’espoir d’une nouvelle ère fondée sur l’aide au
développement des pays d’Amérique du Sud. Ainsi, bien qu’historiquement
l’Amérique latine se profilât comme étant la « chasse gardée » des États-Unis,
des voix s’élèvent pour mettre un terme définitif à cette position de faiblesse.
Obama se voit pourtant rapidement happé par une actualité internationale chaotique et
l’Amérique latine sort
de son écran
radar. En fin de
deuxième mandat, il
prend toutefois la décision historique de rétablir les
relations diplomatiques avec Cuba,
refermant le long
chapitre de la guerre froide et
ôtant de nombreux arguments aux toujours
très influents critiques
de l’impérialisme américain.
L’élection de Trump en 2016 ne doit pas changer fondamentalement la donne : les
États-Unis ont un agenda de politique extérieure dont l’Amérique latine est largement absente. Seul
le Mexique fait l’objet de
l’attention de Tump. La perspective du démantèlement
de l’Accord de libre-échange
nord-américain (ALENA) et de la construction d’un mur le
long de la
frontière séparant les
deux pays risque de plonger le
Mexique dans une grave récession économique
Extrait de « L’Amérique
latine » Olivier Dabène .2e édition
2017
Nous ne sommes pas
européens, nous ne sommes pas indiens mais une sorte d’intermédiaire entre les
aborigènes et les Espagnols.
Simon Bolívar, congrès
d’Angostura, le 15 février 1819
Selon l’expression même de «
latinos », les habitants du continent sud-américain seraient tous à mettre dans
le même panier en raison des éléments qu’ils semblent partager. En effet, l’usage
des (très proches)
langues espagnole et portugaise, la traversée d’un même passé colonial,
la même foi catholique, voire d’autres similitudes concernant
leur niveau de
développement, sont souvent invoqués
comme des critères
reflétant une certaine uniformité
identitaire propre au
continent. Ces éléments
suffisent-ils pour que
toutes les personnes habitant
entre le Rio Grande et la Patagonie se
réclament d’une même
identité latine ?
La question semble ne pas avoir
de réponse facile. En effet, le regard
étranger permet souvent
de figer l’objet
et de déterminer les contours
dessinant une certaine ressemblance.
Pourtant, la question
devient plus complexe lorsqu’on se trouve à l’intérieur
d’un processus culturel bouillonnant, comme celui de la construction identitaire.
En ce sens, la poursuite de l’essence de l’identité latino-américaine sera
toujours une tâche fuyante dans la mesure où elle suppose une constante
réinterprétation de ses origines. Voilà
pourquoi le présent
donne une dimension beaucoup plus
irrégulière et fragmentaire
à l’identité du
continent et montre
bien qu’il est
faux de dire qu’une seule identité puisse le caractériser.
Ils partagent toutefois une même identité fondée sur la diversité et le
mélange. Peut-être convient-il d’abord
de s’intéresser à la
portée de l’appellation « latine » qui désigne la partie sous-tropicale de
l’Amérique. Elle suggère
aussi les origines européennes
issues des colonisations
espa-gnole et portugaise du xvie siècle, origines ayant eu une influence
indéniable et définitive. Néanmoins, ce n’est qu’avec les prétentions
impérialistes de Napoléon III, en 1860, que
l’adjectif « latin » est
employé couramment pour désigner l’Amérique du Sud. Cet usage suggère un
lien de parenté qui pourrait justifier la quête d’un destin commun. Il est donc
intéressant de noter que cette appellation naît d’un regard étranger à l’Amérique,
même si elle fut inventée par un Chilien et un Colombien vivant à Paris en
1856.Plus récemment, le terme « latinos » est récupéré par les États-Unis pour
se référer à la vaste population d’origine sud-américaine qui vit sur son
territoire. L’emploi de cette expression est d’autant plus fréquent que cette
diaspora, dépourvue de ses racines, est en quête de nouveaux repères. C’est
pourquoi, après avoir été réduite à cette expression au sein du communautarisme
américain, elle se
l’est appropriée. L’ailleurs
facilite donc le regroupement des
migrants, consolide et diffuse une identité
latino. L’emblématique salsa
(« sauce », en
espagnol) illustre bien ce phénomène puisqu’elle apparaît issue d’un mélange de
sons et de rythmes caribéens qui, dans le salad bowl américain, invente une
nouvelle musique. Le mot « latino
» suggère toujours
un rôle européen au sein des
populations d’Amérique du Sud ; même si aujourd’hui ce rôle, qui s’est dilué
progressivement à partir des indépendances (premier quart du xixe siècle), doit
être nuancé. Depuis le début
des conquêtes coloniales,
les colons qui débarquent
sur le continent
constituent essentiellement
une population masculine
(à la différence
des États-Unis). Ceux-ci
n’hésitent pas à
se mélanger à la population
locale, ce qui donne naissance à un métissage entre les deux
mondes. Néanmoins, le système colonial reste toujours ordonné selon une
stricte hiérarchie raciale, très
discriminatoire pour les
élites locales créoles (Blancs
nés en Amérique),
par rapport aux privilèges
dont profitaient les
premiers conquérants péninsulaires. Progressivement, les
péninsulaires deviennent
minoritaires face à
la population créole.
Avec le processus des indépendances, ils sont définitivement répudiés au
profit d’une nouvelle identité créole. Mais ce modèle-ci ne reconnaît pas les
mêmes droits civiques à l’ensemble
de la population
(malgré des constitutions très
modernes), et profite surtout à une couche aisée qui garde ses distances
vis-à-vis des autres. Ce modèle accentue
les clivages socio-économiques selon les races, et ce,
malgré un consensus métis. Ce n’est qu’avec l’irruption de la
révolution mexicaine en 1910 que cette identité métisse est pleinement assumée
et massifiée en octroyant les mêmes droits civiques à tous. L’impact
de cette révolution
résonne vivement dans les
zones andines du continent (Bolivie,
Pérou, Équateur, Colombie), qui
reprennent ce modèle
d’intégration d’unité métisse républicaine. Ce modèle, qui a
pour but premier
la communion entre
Blancs et Indiens, est repris distinctement dans un deuxième groupe de
pays abritant en plus une vaste population noire (Brésil,
Venezuela, Caraïbes) qui
a une ouverture pluraliste particulière. Le poète
cubain du début du xxe siècle, Nicolás Guillén, est très représentatif de ce
mélange. Le métissage creuse donc de substantielles différences identitaires selon les régions,
notamment par rapport à un troisième groupe de pays qui a éradiqué sa
population autochtone (Argentine, Uruguay,
Chili) et qui ne s’identifie
d’aucune manière au métissage. La fin du
xxe siècle s’annonce avec davantage de dif-fractions identitaires, dans la
perspective de l’adoption d’un modèle multiculturel moins unitaire au profit de
spécificités communautaires. Cette éclosion de la diversité rompt donc la
lecture bicolore du métissage, pour s’ouvrir vers des déclinaisons plus
pointues pour le premier groupe de pays (le Mexique reconnaît 62 langues parlées, la
Bolivie se compose
de 36 «
nations » ou groupes ethniques), qui pourraient à plus
long terme menacer l’unité nationale. En revanche, cette « ethnisation » de la
politique frappe moins le deuxième groupe de
pays qui semble
mieux gérer une
mixité intégrée aux mœurs. Tandis
que dans le troisième groupe, de croissantes
revendications identitaires commencent à
voir le jour (les
Indiens Mapuches au
Chili), qui témoignent d’une
inégalité des chances très enracinée, perpétuant les différences.
Finalement, l’adoption du
multiculturalisme s’explique également par l’existence d’autres populations qui
ne se reconnaissent ni comme étant autochtones, ni comme étant blanches (1,5
million de Japonais au Brésil, 0,7 million de Palestiniens au Chili).
Aujourd’hui, ces populations commencent à réclamer une reconnaissance devant
l’État. Il semble donc
évident qu’on se
trouve dans une période charnière pour l’identité du
continent, où les particularités
régionales expliquent l’impossibilité de construire l’unité rêvée par Bolívar
(après les indépendances, Bolívar essaye d’unifier l’Amérique hispanique. Hélas,
le panaméricanisme ne fut qu’un mirage évanescent). Néanmoins,
l’appartenance à un
État subsiste comme identité
première, issue souvent
de rivalités ou conflits régionaux
(Brésil versus Argentine ; Bolivie versus Chili…) qui fracturent l’harmonie
identitaire du continent, et que même les projets politiques d’intégration
régionale n’arrivent pas à surmonter.
Extrait de « L’Amérique
latine » Olivier Dabène .2e édition
2017
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