jeudi 1 novembre 2018

L’Union africaine, théâtre pour les puissances continentales Une recomposition des équilibres continentaux ?


L’Union africaine, théâtre pour les puissances  continentales
Une recomposition des équilibres continentaux ?
L’Union africaine s’est, dans les dernières années, montrée impuissante à peser efficacement dans les crises du continent. Le relatif retrait de l’Afrique du Sud et le retour du Maroc dans l’organisation pourraient dessiner un nouvel équilibre, peut-être plus favorable à un rôle renforcé de l’Union. L’Union africaine (UA) a remplacé en 2002 l’Organisation de l’unité africaine (OUA) dont l’objectif principal était la libération et la décolonisation des peuples africains. L’objectif quasiment atteint, l’UA entend « promouvoir la paix, la sécurité et la stabilité sur le continent ». L’institution constitue également un espace où s’expriment les intérêts des pays du continent, et qui permet de jauger les rapports de force. Au regard des jeux diplomatiques observés ces dernières années, on peut ainsi noter une perte d’influence de l’Afrique du Sud, et l’émergence d’un acteur avec lequel il faudra désormais compter : le Maroc.
Le bilan de Nkosazana Dlamini-Zuma :  une perte d’influence sud-africaine Une des priorités de la diplomatie sud-africaine a été, ces dernières années, de créer et de promouvoir des institutions africaines permettant une prise de décision régionale ou continentale dans un cadre multilatéral. Nelson Mandela écrivait en 1993 dans Foreign Affairs : « L’Afrique du Sud ne peut échapper à sa destinée africaine. Si nous ne consacrons pas notre énergie à ce continent, nous serons aussi victimes des forces qui l’ont mené à la désolation dans son ensemble. » C’est dans cet esprit que Thabo Mbeki s’était saisi du projet d’Union africaine du dirigeant libyen Mouammar Kadhafi, à qui il avait réussi à imposer des règles de fonctionnement différentes de celles initialement proposées. Nommée présidente de la Commission de l’UA en 2012, Nkosazana Dlamini-Zuma a été la première femme à diriger l’institution. Son élection avait produit de fortes tensions, l’arrivée d’une Sud-Africaine à la tête de la Commission étant en contradiction avec la règle tacite selon laquelle le poste devait échoir aux petits pays du continent, pour éviter que des pays majeurs ne concentrent trop de pouvoir. La capacité de l’Afrique du Sud à imposer son candidat était un signe de la puissance sud-africaine à l’échelle du continent, mais l’épisode fut aussi interprété comme un passage en force diplomatique peu apprécié par certains partenaires, notamment des pays francophones du continent qui soutenaient la reconduction du candidat gabonais Jean Ping. Malgré ces querelles diplomatiques, Nkosazana Dlamini-Zuma arrivait avec une réputation positive acquise dans ses fonctions ministérielles successives en Afrique du Sud depuis l’arrivée de l’African National Congress (ANC) au pouvoir  en  1994.  Elle  était  également  une  militante  de  la  lutte  contre  l’apartheid, ce qui en fait aujourd’hui une des femmes politiques sud-africaines les plus influentes avec Winnie Mandela. Elle a désormais l’ambition de succéder à Jacob Zuma en se faisant élire à la tête de l’ANC lors de la conférence nationale élective du parti de décembre 2017, expliquant ainsi sa décision de ne pas postuler à un second mandat à la tête de la Commission de l’UA. Ses détracteurs indiquent ainsi qu’au cours de son mandat, la présidente s’est montrée plus concernée par sa propre carrière politique nationale que par le fonctionnement de l’UA. Le nombre important de collaborateurs sud-africains nommés à son cabinet a également été beaucoup critiqué. Des diplomates financés directement par l’Afrique du Sud l’assistaient dans ses tâches quotidiennes, au point de dupliquer les centres décisionnels et de court-circuiter parfois les canaux officiels.
  Une gestion de la paix et de la sécurité décevante Quant  à  son  bilan,  si  Nkosazana  Dlamini-Zuma  a  œuvré  pour  accorder  une importance toute particulière et inédite dans l’UA aux questions liées au genre et aux droits des femmes, son action sur les questions de paix et de sécurité est généralement jugée très décevante. Lors de sa campagne pour accéder à la présidence de la Commission, elle avait fustigé l’absence de l’UA dans la gestion de la crise libyenne et dans celle de la crise post-électorale de 2011 en Côte d’Ivoire. Il s’agissait là de la position officielle de la diplomatie sud-africaine, qui avait peu goûté l’interventionnisme des anciennes puissances coloniales, et de la France en particulier. Avec la nouvelle présidente sud-africaine de la Commission, les attentes étaient donc élevées : l’UA devait faire entendre sa voix de manière plus audible et s’engager davantage sur les questions de paix et de sécurité. Or force est de constater que l’implication de l’UA dans les principaux dossiers fut extrêmement timide. Et pourtant, au cours du mandat de Nkosazana Dlamini-Zuma les crises n’ont pas manqué : Burundi, Gabon, Gambie, Mali, République démocratique du Congo (RDC), République centrafricaine (RCA), Somalie, Soudan, Sud-Soudan, épidémie d’Ebola… Le cas du Burundi constitue l’échec le plus notable de la présidente de la Commission, l’UA ayant renoncé à déployer un contingent militaire de 5 000 hommes après l’avoir pourtant officiellement annoncé. Concernant la Gambie, ce sont les pays de la Communauté économique des États d’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) qui ont été les plus actifs et ont su trouver une issue au conflit, montrant par là l’inefficacité de l’UA sur ce type de dossiers. L’UA n’a guère été plus active pour dénoncer, voire sanctionner, les pays dont les présidents ont modifié ou contourné les textes constitutionnels dans des conditions discutables pour prolonger leurs mandats (le Burundi, la RDC, la République du Congo, le Rwanda ou encore l’Ouganda sont concernés). Le cadre réglementaire de l’UA procurait pourtant une marge de manœuvre autrement plus audacieuse.Par extension, on peut affirmer que le bilan décevant de Nkosazana Dlamini-Zuma éclaire la perte d’influence de l’Afrique du Sud sur ses pairs et son incapacité à s’ériger en acteur décisif dans la résolution des crises africaines. Certes, l’ambition sud-africaine d’assumer un tel rôle se heurte à des rivalités et peut donner lieu à des concurrences assez vives, entravant l’imposition d’un agenda. La réintégration du Maroc dans l’UA peut ainsi être comprise en ce sens : elle est à la fois le signe de la difficulté éprouvée par l’Afrique du Sud pour imposer ses vues, et la consécration d’un nouvel acteur majeur dans le jeu des puissances continentales.
Le retour du Maroc reconfigure le jeu  diplomatique continental Les chefs des États membres de l’organisation panafricaine réunis le 30  janvier 2017 à Addis Abeba ont accepté la réintégration du Maroc. Ceci constitue l’aboutissement d’une offensive diplomatique d’envergure menée au cours des dernières années par le royaume chérifien. Le Maroc avait quitté l’OUA en 1984 pour protester contre l’admission de la République arabe sahraouie démocratique (RASD), le royaume considérant le Sahara occidental comme partie intégrante de son territoire. L’isolement marocain n’a pas permis de faire évoluer ce dossier sensible en sa faveur, au contraire : de multiples déclarations officielles de l’UA ont condamné la politique marocaine à l’égard de ce territoire. Le Maroc a dès lors décidé de modifier sa stratégie, en demandant officiellement sa réintégration. Par ailleurs, Rabat a massivement investi en Afrique subsaharienne, et en Afrique de l’Ouest en particulier. Cela participe d’une stratégie marocaine visant à accroître sa présence et son influence au sud du Sahara. Si les pays d’Afrique subsaharienne sont encore aujourd’hui des partenaires commerciaux de modeste importance,  le  royaume  chérifien  semble  vouloir  développer  rapidement  le volume des activités économiques. En témoigne la volonté du Maroc d’adhérer à la CEDEAO. Le roi Mohammed VI a également multiplié ses déplacements en Afrique ces dernières années. Ces multiples efforts ont été récompensés : 39 États membres sur 54 se sont prononcés à Addis Abeba en faveur du retour du Maroc, ce qui constitue un nouvel échec pour les diplomaties sud-africaine mais aussi algérienne, farouches défenseurs de la RASD, et qui ont tenté de freiner la réadmission du Maroc ou de lui imposer des gages quant à la tenue d’un référendum d’autodétermination. Le Maroc a notamment pu compter sur ses alliés traditionnels comme le Gabon, le Sénégal, la Guinée ou la Côte d’Ivoire. Cette alliance pourrait conduire à un rééquilibrage des priorités de l’UA en faveur de l’Afrique de l’Ouest, et ce d’autant plus si le Nigeria décide de collaborer plus étroitement avec ses voisins. Mohammed VI semble également en mesure d’endosser un rôle de leader panafricain. Il existe en effet un certain vide en termes de leadership dans l’espace diplomatique continental : Hosni Moubarak a été balayé par les printemps arabes ; Mouammar Kadhafi  n’est plus ; le Nigeria pâtit de  ses problèmes de sécurité au nord (Boko Haram) et au sud (Delta), et de difficultés économiques liées notamment à la baisse des cours du brut. Il en va de même pour l’Angola ou l’Algérie, cette dernière devant de surcroît régler la succession d’un président très affaibli. Enn, l’Afrique du Sud semble avoir renoncé à ses ambitions continen-tales pour se focaliser sur ses fortes tensions internes. Les années à venir démon-treront la capacité du Maroc à se saisir de l’espace diplomatique qui s’ouvre à lui pour faire fructier ses intérêts économiques et ses revendications politiques. Quelles perspectives ?Le nouveau président de la Commission de l’UA est Moussa Faki Mahamat, ancien Premier ministre puis ministre des Affaires étrangères de la République du Tchad. Alors que son pays est peu ouvert à l’expression d’une opposition politique, il paraît improbable que l’UA se montre proactive au cours des prochaines années sur les questions des droits de l’homme ou du respect de la démocratie. Le Tchad étant impliqué dans des opérations militaires sur le continent, notamment dans le cadre du G5-Sahel, on peut néanmoins envisager un volontarisme plus prononcé sur le front sécuritaire. Moussa Faki Mahamat devra composer avec un budget censé reposer essentiellement sur les contributions de ses États membres. L’importante contribution financière de la Libye de Mouammar Kadhafi  s’est tarie. L’UA se retrouve parfois dépourvue de moyens suffisants pour mener à bien ses ambitions et doit compter sur l’aide de partenaires extérieurs, notamment de l’UE. La Mission de l’Union africaine en Somalie (AMISOM) est, par exemple, presque exclusivement financée par l’UE. La réintégration du Maroc dans l’UA est vue par certains observateurs comme un moyen d’envisager une meilleure indépendance financière. Aujourd’hui, l’Afrique du Sud, l’Algérie ou le Nigeria sont parmi les principaux contributeurs de l’organisation, d’où leur volonté de voir l’institution satisfaire un certain nombre de leurs intérêts. L’expression de ces intérêts, parfois contradictoires, devra être considérée, dans les années à venir, pour évaluer l’état des rapports de force entre les pays du continent. La gestion du dossier du Sahara occidental, sur lequel s’affrontent quasi frontalement la diplomatie marocaine et les diplomaties sud-africaine et algérienne, constituera  notamment  un  excellent  révélateur  de  la  capacité  d’influence  des puissances africaines.
Extrait de la revue « Ramses 2018 »
Ramses 2018


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      Parution : 
septembre 2017

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