L’Union africaine,
théâtre pour les puissances
continentales
Une recomposition des
équilibres continentaux ?
L’Union africaine s’est, dans les
dernières années, montrée impuissante à peser efficacement dans les crises du
continent. Le relatif retrait de l’Afrique du Sud et le retour du Maroc dans
l’organisation pourraient dessiner un nouvel équilibre, peut-être plus
favorable à un rôle renforcé de l’Union. L’Union africaine (UA) a remplacé en
2002 l’Organisation de l’unité africaine (OUA) dont l’objectif principal était
la libération et la décolonisation des peuples africains. L’objectif quasiment
atteint, l’UA entend « promouvoir la paix, la sécurité et la stabilité sur le
continent ». L’institution constitue également un espace où s’expriment les
intérêts des pays du continent, et qui permet de jauger les rapports de force.
Au regard des jeux diplomatiques observés ces dernières années, on peut ainsi
noter une perte d’influence de l’Afrique du Sud, et l’émergence d’un acteur
avec lequel il faudra désormais compter : le Maroc.
Le bilan
de Nkosazana Dlamini-Zuma : une perte
d’influence sud-africaine Une des priorités de la diplomatie sud-africaine a
été, ces dernières années, de créer et de promouvoir des institutions
africaines permettant une prise de décision régionale ou continentale dans un
cadre multilatéral. Nelson Mandela écrivait en 1993 dans Foreign Affairs : «
L’Afrique du Sud ne peut échapper à sa destinée africaine. Si nous ne
consacrons pas notre énergie à ce continent, nous serons aussi victimes des
forces qui l’ont mené à la désolation dans son ensemble. » C’est dans cet
esprit que Thabo Mbeki s’était saisi du projet d’Union africaine du dirigeant
libyen Mouammar Kadhafi, à qui il avait réussi à imposer des règles de
fonctionnement différentes de celles initialement proposées. Nommée présidente
de la Commission de l’UA en 2012, Nkosazana Dlamini-Zuma a été la première
femme à diriger l’institution. Son élection avait produit de fortes tensions,
l’arrivée d’une Sud-Africaine à la tête de la Commission étant en contradiction
avec la règle tacite selon laquelle le poste devait échoir aux petits pays du
continent, pour éviter que des pays majeurs ne concentrent trop de pouvoir. La
capacité de l’Afrique du Sud à imposer son candidat était un signe de la
puissance sud-africaine à l’échelle du continent, mais l’épisode fut aussi
interprété comme un passage en force diplomatique peu apprécié par certains
partenaires, notamment des pays francophones du continent qui soutenaient la
reconduction du candidat gabonais Jean Ping. Malgré ces querelles
diplomatiques, Nkosazana Dlamini-Zuma arrivait avec une réputation positive
acquise dans ses fonctions ministérielles successives en Afrique du Sud depuis
l’arrivée de l’African National Congress (ANC) au pouvoir en
1994. Elle était
également une militante
de la lutte
contre l’apartheid, ce qui en
fait aujourd’hui une des femmes politiques sud-africaines les plus influentes
avec Winnie Mandela. Elle a désormais l’ambition de succéder à Jacob Zuma en se
faisant élire à la tête de l’ANC lors de la conférence nationale élective du
parti de décembre 2017, expliquant ainsi sa décision de ne pas postuler à un
second mandat à la tête de la Commission de l’UA. Ses détracteurs indiquent
ainsi qu’au cours de son mandat, la présidente s’est montrée plus concernée par
sa propre carrière politique nationale que par le fonctionnement de l’UA. Le
nombre important de collaborateurs sud-africains nommés à son cabinet a
également été beaucoup critiqué. Des diplomates financés directement par
l’Afrique du Sud l’assistaient dans ses tâches quotidiennes, au point de dupliquer
les centres décisionnels et de court-circuiter parfois les canaux officiels.
Une gestion de la paix et de la sécurité
décevante Quant à son
bilan, si Nkosazana
Dlamini-Zuma a œuvré
pour accorder une importance toute particulière et inédite
dans l’UA aux questions liées au genre et aux droits des femmes, son action sur
les questions de paix et de sécurité est généralement jugée très décevante. Lors
de sa campagne pour accéder à la présidence de la Commission, elle avait
fustigé l’absence de l’UA dans la gestion de la crise libyenne et dans celle de
la crise post-électorale de 2011 en Côte d’Ivoire. Il s’agissait là de la
position officielle de la diplomatie sud-africaine, qui avait peu goûté
l’interventionnisme des anciennes puissances coloniales, et de la France en
particulier. Avec la nouvelle présidente sud-africaine de la Commission, les
attentes étaient donc élevées : l’UA devait faire entendre sa voix de manière plus
audible et s’engager davantage sur les questions de paix et de sécurité. Or
force est de constater que l’implication de l’UA dans les principaux dossiers
fut extrêmement timide. Et pourtant, au cours du mandat de Nkosazana
Dlamini-Zuma les crises n’ont pas manqué : Burundi, Gabon, Gambie, Mali,
République démocratique du Congo (RDC), République centrafricaine (RCA),
Somalie, Soudan, Sud-Soudan, épidémie d’Ebola… Le cas du Burundi constitue
l’échec le plus notable de la présidente de la Commission, l’UA ayant renoncé à
déployer un contingent militaire de 5 000 hommes après l’avoir pourtant officiellement
annoncé. Concernant la Gambie, ce sont les pays de la Communauté économique des
États d’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) qui ont été les plus actifs et ont su
trouver une issue au conflit, montrant par là l’inefficacité de l’UA sur ce
type de dossiers. L’UA n’a guère été plus active pour dénoncer, voire
sanctionner, les pays dont les présidents ont modifié ou contourné les textes
constitutionnels dans des conditions discutables pour prolonger leurs mandats
(le Burundi, la RDC, la République du Congo, le Rwanda ou encore l’Ouganda sont
concernés). Le cadre réglementaire de l’UA procurait pourtant une marge de
manœuvre autrement plus audacieuse.Par extension, on peut affirmer que le bilan
décevant de Nkosazana Dlamini-Zuma éclaire la perte d’influence de l’Afrique du
Sud sur ses pairs et son incapacité à s’ériger en acteur décisif dans la
résolution des crises africaines. Certes, l’ambition sud-africaine d’assumer un
tel rôle se heurte à des rivalités et peut donner lieu à des concurrences assez
vives, entravant l’imposition d’un agenda. La réintégration du Maroc dans l’UA
peut ainsi être comprise en ce sens : elle est à la fois le signe de la difficulté
éprouvée par l’Afrique du Sud pour imposer ses vues, et la consécration d’un
nouvel acteur majeur dans le jeu des puissances continentales.
Le
retour du Maroc reconfigure le jeu
diplomatique continental Les chefs des États membres de l’organisation
panafricaine réunis le 30 janvier 2017 à
Addis Abeba ont accepté la réintégration du Maroc. Ceci constitue l’aboutissement
d’une offensive diplomatique d’envergure menée au cours des dernières années
par le royaume chérifien. Le Maroc avait quitté l’OUA en 1984 pour protester
contre l’admission de la République arabe sahraouie démocratique (RASD), le
royaume considérant le Sahara occidental comme partie intégrante de son
territoire. L’isolement marocain n’a pas permis de faire évoluer ce dossier
sensible en sa faveur, au contraire : de multiples déclarations officielles de
l’UA ont condamné la politique marocaine à l’égard de ce territoire. Le Maroc a
dès lors décidé de modifier sa stratégie, en demandant officiellement sa
réintégration. Par ailleurs, Rabat a massivement investi en Afrique
subsaharienne, et en Afrique de l’Ouest en particulier. Cela participe d’une
stratégie marocaine visant à accroître sa présence et son influence au sud du
Sahara. Si les pays d’Afrique subsaharienne sont encore aujourd’hui des
partenaires commerciaux de modeste importance,
le royaume chérifien
semble vouloir développer
rapidement le volume des
activités économiques. En témoigne la volonté du Maroc d’adhérer à la CEDEAO. Le
roi Mohammed VI a également multiplié ses déplacements en Afrique ces dernières
années. Ces multiples efforts ont été récompensés : 39 États membres sur 54 se
sont prononcés à Addis Abeba en faveur du retour du Maroc, ce qui constitue un
nouvel échec pour les diplomaties sud-africaine mais aussi algérienne,
farouches défenseurs de la RASD, et qui ont tenté de freiner la réadmission du
Maroc ou de lui imposer des gages quant à la tenue d’un référendum
d’autodétermination. Le Maroc a notamment pu compter sur ses alliés traditionnels
comme le Gabon, le Sénégal, la Guinée ou la Côte d’Ivoire. Cette alliance
pourrait conduire à un rééquilibrage des priorités de l’UA en faveur de
l’Afrique de l’Ouest, et ce d’autant plus si le Nigeria décide de collaborer
plus étroitement avec ses voisins. Mohammed VI semble également en mesure
d’endosser un rôle de leader panafricain. Il existe en effet un certain vide en
termes de leadership dans l’espace diplomatique continental : Hosni Moubarak a
été balayé par les printemps arabes ; Mouammar Kadhafi n’est plus ; le Nigeria pâtit de ses problèmes de sécurité au nord (Boko
Haram) et au sud (Delta), et de difficultés économiques liées notamment à la
baisse des cours du brut. Il en va de même pour l’Angola ou l’Algérie, cette
dernière devant de surcroît régler la succession d’un président très affaibli.
Enn, l’Afrique du Sud semble avoir renoncé à ses
ambitions continen-tales pour se focaliser sur ses fortes tensions internes.
Les années à venir démon-treront la capacité du Maroc à se saisir de l’espace
diplomatique qui s’ouvre à lui pour faire fructier ses
intérêts économiques et ses revendications politiques. Quelles
perspectives ?Le nouveau président de la Commission de l’UA est Moussa Faki
Mahamat, ancien Premier ministre puis ministre des Affaires étrangères de la
République du Tchad. Alors que son pays est peu ouvert à l’expression d’une
opposition politique, il paraît improbable que l’UA se montre proactive au
cours des prochaines années sur les questions des droits de l’homme ou du
respect de la démocratie. Le Tchad étant impliqué dans des opérations
militaires sur le continent, notamment dans le cadre du G5-Sahel, on peut
néanmoins envisager un volontarisme plus prononcé sur le front sécuritaire. Moussa
Faki Mahamat devra composer avec un budget censé reposer essentiellement sur
les contributions de ses États membres. L’importante contribution financière de
la Libye de Mouammar Kadhafi s’est
tarie. L’UA se retrouve parfois dépourvue de moyens suffisants pour mener à
bien ses ambitions et doit compter sur l’aide de partenaires extérieurs,
notamment de l’UE. La Mission de l’Union africaine en Somalie (AMISOM) est, par
exemple, presque exclusivement financée par l’UE. La réintégration du Maroc
dans l’UA est vue par certains observateurs comme un moyen d’envisager une
meilleure indépendance financière. Aujourd’hui, l’Afrique du Sud, l’Algérie ou
le Nigeria sont parmi les principaux contributeurs de l’organisation, d’où leur
volonté de voir l’institution satisfaire un certain nombre de leurs intérêts.
L’expression de ces intérêts, parfois contradictoires, devra être considérée,
dans les années à venir, pour évaluer l’état des rapports de force entre les
pays du continent. La gestion du dossier du Sahara occidental, sur lequel
s’affrontent quasi frontalement la diplomatie marocaine et les diplomaties
sud-africaine et algérienne, constituera
notamment un excellent
révélateur de la
capacité d’influence des puissances africaines.
Extrait de la revue « Ramses
2018 »


Parution :
septembre 2017
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